"Si l’affaire Ghosn révèle la rigueur de la justice nipponne, elle confirme aussi la situation d’impunité dont profitent en France de très nombreuses personnalités publiques. Voulant protéger le PDG de Renault, Bruno Le Maire a ainsi assuré qu'il n’y avait « rien de particulier à signaler sur sa situation fiscale », alors que le grand patron s’est fiscalement domicilié depuis 2012 aux Pays-Bas."
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Ce qu’il y a de frappant, c’est que cette culture de l’impunité est une constante de la vie publique française. Carlos Ghosn en est la meilleure illustration, car avant même la procédure pénale qui le frappe aujourd’hui, il a fait l’objet d’innombrables critiques en France, se permettant même de ne tenir aucun compte de souhaits ou d’instructions de l’État, notamment sur ses rémunérations, qui de longue date confinent à l’abus de biens. Mais l’État n’a jamais tiré les conséquences de cette insoumission et s’est ridiculisé, face à un PDG qui n’avait pour lui que mépris.
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Voici longtemps, une pratique nouvelle avait certes émergé en France, dénommée jurisprudence Bérégovoy-Balladur, aux termes de laquelle un responsable public mis en examen devait se déporter et abandonner son mandat public, pour des raisons éthiques, et pour que l’action publique ne soit pas brouillée par des problèmes personnels. Mais cette jurisprudence a été enterrée. Et depuis de longues années, les pouvoirs successifs ont fréquemment apporté leur soutien à des personnalités mises en cause, parfois gravement, par la justice.
Les exemples abondent. Il y a d’abord celui de Stéphane Richard, qui est renvoyé en correctionnelle (le procès commencera le 11 mars) avec cinq autres personnalités, pour « complicité d’escroquerie » et « complicité de détournement de fonds publics », dans l’affaire de l’arbitrage frauduleux qui a octroyé indument 404 millions d’euros d’argent public à Bernard Tapie (lire ici). Or quelle que soit la gravité des charges qui pèsent sur le patron d’Orange, dont l’État est le premier actionnaire, ce dernier n’a jamais ménagé son soutien. Bruno Le Maire est lui-même monté en première ligne pour saluer « le bon travail à la tête d’Orange » effectué par l’ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde, du temps où celle-ci était ministre des finances. On sait donc ce qu’il en est advenu : pour finir, l’État s’est bien gardé de révoquer Stéphane Richard ; il a même fait tout ce qui était en son pouvoir pour qu’il soit reconduit pour un nouveau mandat, ce qui est advenu en mai 2018.
Pour la petite histoire, on observera que cette impunité peut parfois rendre imprudents ceux qui en profitent, car Stéphane Richard a aussitôt volé au secours de Carlos Ghosn sur Twitter, peu après que le scandale a éclaté, pour dénoncer « le sport national » qu’est en France « le lynchage médiatique ». Venant de lui, il fallait oser !