Par JOHANN CHAPOUTOT. Historien. professeur d'histoire contemporaine à Paris Sorbonne.
<<Macron ou le triomphe de la destructrice pensée néolibérale
Le président élu en 2017 achève le travail de ses prédécesseurs, en imposant une logique comptable et de recul de l'Etat dans l'économique et le social.
Depuis quelque temps. Le Figaro se fâche et lâche ses coups. Alors que, depuis mai 2017, le journal de Dassault louait Macron, il a ouvert le procès en renoncement et en chiraquisation: le Président recule, paraît-il, sur tous les fronts. Il donne de l'argent aux gueux (les gilets jaunes), il cède sur l'hôpital, il hésite sur les retraites, il laisse filer les déficits. Poltron, fulmine l'éditorialiste vengeur! Même pas cap de tenir ton cap!
Or Macron n'a pas entamé sa retraite de Russie mais, peut-être, son chemin de Damas: il commence à faire de la politique, c'est-à-dire à considérer infirmières, médecins, enseignants et cheminots comme des êtres humains, et non comme des agrégats statistiques et des masses de chiffres à «gérer». Bref, il aurait presque tendance à devenir intelligent. Celui dont les thuriféraires, pâmés en dévotion et fourbus de génuflexions, vantent la «pensée complexe» (dixit sa conseillère en communication, actuelle ministre de je ne sais quoi) comme, naguère, on exaltait le «génie des Carpates», en Roumanie, a toujours fait preuve d'une singulière bêtise. Les internautes ne s'y sont pas trompés, qui ont rapproché notre roi-philosophe de la figure d'OSS 117: un type propre sur lui, au visage régulier, qui profère des énormités moralement scandaleuses et consternantes avec le plus parfait aplomb: «traverser la rue» pour trouver un emploi, «bosser» pour se «payer un costard», «tout ne va pas si mal, allons», etc.
Disciple autoprociamé de Ricœur (quelle touchante modestie! en fait, Ricœur lui devait tout). il a plutôt toujours été le petit télégraphiste des think tanks libéraux, des directions centrales de Bercy et du Medef: «réformer» (pardon, «transformer»), «libérer les énergies», combattre les «conservatismes», etc. Le catéchisme, appris à Sciences-Po, est psalmodié avec application.
Macron a, de fait, une signification historique réelle: il est l'artisan zélé du néolibéralisme dont il veut assurer le règne en France. Sa «révolution» (on l'a trop vite oublié, mais c'est le titre du «livre» qu'il a commis peu avant la présidentielle) n'est que l'introduction, au pays des «Gaulois réfractaires» (c'est que l'on a des lettres), d'un programme néolibéral trop longtemps retardé en France par la gauche (pas celle de Hollande, qui lui a mis le pied à l'étrier) et les «conservatismes- de syndicalistes moustachus.
Le néolibéralisme n'est pas le libéralisme classique, dont il a voulu, dans les années 30, et après la catastrophe de 1929, pallier les défauts. Le libéralisme maintenait l'Etat à sa plus simple expression. Le «néo», le libéralisme rénové d'après le krach et la Grande Dépression, poursuit le désengagement de l'Etat dans l'économie, mais renforce sa présence en matière d'ordre public.
La logique néolibéraie a admirablement été résumée par le sociologue Loïc Wacquant : en amont, l'Etat se retire (dérégulation économique, désengagement social pour faire des «économies»), ce qui produit des catastrophes sociales en série - délocalisations, déstructurations de services publics, drames humains, chômage.
Dès lors, il faut réinvestir l'Etat en aval, non plus sous la forme des assurances sociales et de la régulation économique d’un capitalisme sauvage, mais sous l'aspect de CRS armés de matraques et de «grenades de désencerciement» ainsi que de voltigeurs à moto qui tirent au LBD à vue.
Le néolibéralisme blesse, mutile et tue. Il mutile les manifestants: nous vivons dans un pays où, en un an, 24 personnes ont perdu un œil après avoir été touchées par des projectiles à tir tendu de la police et où cinq manifestants ont eu une main arrachée.
Il tue les enseignants, les médecins, les infirmières, mais aussi les policiers qui se suicident.
Le moment néolibéral fut inauguré en 1979, avec la victoire de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, puis celle de Reagan aux Etats-Unis en 1981.
Après la tentative chiraquienne, celle de 1986. et malgré les accommodements de la «gauche dite «de gouvernement», la France a du retard !
La logique purement comptable et rentable n'a été introduite à l'hôpital qu'en 1995, avec la tarification à l'acte, puis en 2002, avec les «indicateurs de performance» dans la police, grâce à Sarkozy, avant d'arriver à l'université en 2007, avec Pécresse.
L'efficacité» peut désormais être évaluée -en burn out, en blessures à vif et en morts.
Education, santé, police: la «pensée complexe» du génie du Touquet sape et détruit ces trois piliers de la nation.
Avec les drames que nous vivons, cette «pensée» apparaît pour ce qu'elle est: bête et méchante.>>